Aujourd’hui, dans le cadre de notre dossier autour de la Webtoon Academy, nous rencontrons Diane Ranville, productrice webtoon pour Média-Participations.
Webtoon Actu (WA) : Bonjour Diane, et merci d’avoir accepté cette rencontre.
Diane Ranville (DR) : Bonjour.

Diane Ranville, qui a gardé un oeil sur la webtoon academy tout le temps de formaation de la première promo !
WA : Tu as plusieurs casquettes : scénariste BD (papier et webtoon), tu contribues au développement de Wikipedia, tu es traductrice, également formatrice scénario et te voilà productrice de Webtoon pour Ellipse Studio et Ono (Groupe Média Participations), peux-tu nous parler de ton parcours ?
DR : À l’origine je suis formée aux métiers du livre, j’ai un master en édition à la Sorbonne et j’ai aussi étudié le cinéma, l’anglais et la littérature. J’avais toujours voulu écrire donc après mes études, je me suis lancée directement avec un groupe d’amis et ensemble nous avons créé un collectif de BD, « The Neb Studio », avec lequel on a publié plusieurs œuvres : albums papier, contributions à des séries (éditions Akileos et Ankama), et aussi des projets de BD numérique et de webtoon. En parallèle de cette activité d’autrice, j‘ai eu différents métiers, comme traductrice dans l’édition, prof de scénario, et effectivement j’ai aussi travaillé pour Wikipédia mais c’est une longue histoire ! Mon intérêt pour la BD numérique ne date pas d’hier, puisque j’avais écrit mon mémoire de master sur le sujet il y a maintenant dix ans, et que je n’ai jamais cessé de m’intéresser au sujet depuis. Quand j’ai vu ce poste de productrice webtoon, je me suis dit que c’était fait pour moi, alors j’ai candidaté et me voilà !
WA : Qu’est-ce qu’une productrice de webtoon en France ?
DR : Mon poste est un peu particulier pour l’instant car je travaille sur pas mal de projets-pilote. Mais classiquement, un producteur ou éditeur de webtoon c’est une personne qui repère des projets et qui suit des auteurs dans leur création, jusqu’à la publication. C’est similaire au métier d’éditeur, avec la particularité qu’on aide des auteurs à maîtriser ce format particulier qu’est le webtoon avec ses spécificités : la forme verticale, qui fait que les techniques de storyboard sont différentes d’une BD classique, et aussi la sérialité, qui oblige à structurer la narration en une multitude d’épisodes courts, avec des cliffhangers très réguliers. En terme de dramaturgie, on aide les auteurs à rythmer leur récit en suivant ce principe. Ça, c’est pour le métier d’éditeur/producteur de webtoon en général.
Après, il y a le suivi de production, qui présente des aspects plus techniques. Chez Média Participations, nous expérimentons des logiques de création en studio, pour que tout ne repose pas sur les épaules d’une seule autrice ou d’un seul auteur, et aussi pour raccourcir les temps de production grâce à la collaboration de plusieurs artistes. C’est là que le terme de « producteur » prend son sens, car on entre dans un suivi de production avec un « workflow » comme on dit, c’est-à-dire une véritable chaîne de production où les fichiers passent de main en main et où il faut superviser l’articulation entre les différents membres de l’équipe. Beaucoup d’artistes organisent déjà ce type de fonctionnement en embauchant des assistants ou des assistantes. L’idée est de leur faciliter la tâche en prenant en charge les aspects logistiques.
Et pour finir, dans mon poste en particulier, qui est peut-être différent d’autres personnes exerçant des métiers similaires en France, on a créé un dispositif « la Webtoon Academy », qui est à la fois une formation et un incubateur de projets, où des experts coréens sont venus former des artistes français à la création de webtoons. Avec ce volet-là, il y a donc un côté gestion de projets qui s’ajoute à mon poste.
WA : Tu peux développer ton rôle dans la Webtoon Academy ?
DR : Oui, disons que j’ai eu un rôle de coordination et de gestion des événements. La formation a duré trois mois, ce qui était à la fois resserré dans le temps et quand même assez long. Mon rôle a d’abord été, en amont, d’aller recruter des candidats. J’ai travaillé à la diffusion de l’appel à candidatures, puis analysé les candidatures avec un comité de sélection, j’ai fait passer les entretiens… On avait plus de 80 postulants, et finalement on a retenu douze personnes.
Ensuite pendant la formation en elle-même, j’avais un peu un double voire triple rôle. D’un côté je gérais la coordination des événements qui ont rythmé la formation (par exemple des conférences d’éditeurs, la visite d’étudiants coréens en échange culturel, un live sur Twitch avec l’influenceuse Ultia…). Et de l’autre côté j’assurais le suivi des étudiants en eux-mêmes, notamment d’un point de vue personnel : il s’agissait de veiller à ce qu’ils soient dans de bonnes conditions pour travailler, que chacun ait un logement…des choses très pratico-pratiques ! Mais aussi parfois des aspects plus humains comme gérer baisses de moral, offrir de l’écoute… Et pour finir il y a eu le suivi artistique. Au quotidien, c’étaient surtout les formateurs coréens qui suivaient les projets et faisaient des feedbacks aux étudiants. Mais je suis également intervenue à certains moments, notamment à l’étape du scénario et du storyboard qui sont mes spécialités.
WA : Le côté humain était important ?
DR : Oui, le côté humain était très important pour moi. Pour avoir été moi-même dans la position des artistes, je sais que c’est capital de travailler dans de bonnes conditions car on travaille beaucoup, à la fois en terme de nombre d’heures et d’investissement émotionnel dans ce qu’on est en train de faire.
Pour prendre un exemple, je me souviens d’une fois où les formateurs coréens avaient fait des retours à un étudiant et il s’était dit : « Ce sont eux les experts, ils doivent avoir raison, je vais modifier mon histoire. » Mais au fond de lui il n’était pas totalement d’accord avec les changements proposés, ça ne correspondait pas à ce qu’il avait envie de faire. Dans un moment comme celui-là, ça a été mon rôle de parler avec cet étudiant et de l’inciter à exprimer le fond de sa pensée. Ça a permis de rediscuter du scénario et de trouver une solution qui convenait à tout le monde.
C’était peut-être aussi plus facile pour moi de communiquer avec les étudiants car on parle la même langue. Avec les coréens ça passait toujours par un traducteur, c’était très fluide, mais malgré tout il y a quand même une distance supplémentaire. Moi, je pouvais aller les sonder pour leur demander : « Est-ce que tu es contente, content de la direction que prend ton projet ? Est-ce que tu te sens à l’aise ? ». Ça me semblait hyper important qu’ils et elles aient l’espace de s’exprimer, de se confier si ça n’allait pas, qu’il y ait une vraie relation de confiance.
WA : As-tu eu des retours des étudiants et des étudiantes sur le suivi pendant la formation. Certains venaient de loin, notamment d’Afrique. Avoir quelqu’un qui veille sur le pratico-pratique, comme tu disais, ça les a aidé ?
DR : Oui, c’était le principe. On voulait vraiment qu’ils aient l’esprit libre pour se consacrer à la formation. Et effectivement on avait trois étudiants africains : un gabonais, une camerounaise, et une malgache qui habite au Canada. Donc effectivement, ils venaient de loin ! Les autres venaient de différentes villes en France, donc cela constituait un changement pour la plupart d’entre eux aussi. Alors on a fait en sorte qu’ils soient le mieux possible.
Par ailleurs en terme de cadre, il faut savoir que la Webtoon Academy est une formation professionnelle, portée en partenariat avec l’EMCA (Ecole des Métiers du Cinéma d’Animation d’Angoulême) et qu’elle a été financée grâce à l’aide de différentes institutions, notamment l’agglomération Grand Angoulême et la région Nouvelle Aquitaine. Concrètement, ça a permis de faire en sorte que la formation soit gratuite, avec un statut sécurisant pour les apprenants puisqu’ils pouvaient percevoir une allocation de formation s’ils étaient éligibles. C’est un cadre vraiment rare pour une formation à la bande dessinée !
WA : Justement, la Webtoon Academy a fini son premier cycle de formation. Certains projets ont été sélectionnés pour un suivi par Média Participations, comment ça se passe pour ces participants ?
DR : En effet, trois lauréates/lauréats ont été sélectionnées, et vont avoir l’opportunité d’aller en Corée du Sud pendant deux mois ! Ce voyage s’organise avec le soutien de l’ambassade de France en Corée du Sud, et l’objectif est que les trois artistes soient en immersion dans le studio de notre partenaire Kenaz, dans la ville de Suncheon, pour poursuivre le développement de leur projet. Ils auront un contrat qui financera les trois premiers épisodes de leur série, puis éventuellement les suivants. En Corée, pour financer une série, on fait d’abord les trois premiers épisodes, et ensuite on les propose à des plateformes qui, si elles sont intéressées, vont investir pour produire le reste de la saison. L’objectif est donc de suivre ce processus pour nos trois auteur et autrices, avec l’ambition que leur série soit produite à l’adresse d’un public international.
WA : Les projets seront développés en anglais ?
DR : Les auteurs et autrices écrivent en français, mais si on présente le projet à une plateforme japonaise, on traduira en japonais et ainsi de suite. Peut-être qu’au moment de vendre, ce sera en anglais. Ce n’est pas encore précisément décidé.
WA : Tu seras du voyage ?
DR : Oui, je vais avec eux là-bas, c’est très cool ! [rires] C’est une super opportunité pour moi aussi, et ça va être vraiment intéressant. C’est un peu d’organisation de partir de chez soi pendant deux mois, mais ça va me permettre de mieux comprendre le fonctionnement de la production coréenne, d’en apprendre plus sur leur manière d’organiser la production de webtoons. En France, on n’a pas encore de studio de l’ampleur de celui de Kenaz. Là-bas, ils ont des lignes de productions avec des postes très spécialisés, par exemple des personnes qui se consacrent uniquement au lineart, aux ombres ou aux effets spéciaux. Ils peuvent avoir jusqu’à dix personnes là où on en a plutôt trois ou quatre maximum ici. Et donc avec ces postes très spécialisés, ils ont une manière de travailler plus industrialisée que chez nous. C’est l’occasion d’être au contact de cela et d’en apprendre d’avantage, de pouvoir s’en inspirer aussi pour ramener certaines de leur méthodes de travail en France.
WA : Ce système de fonctionnement coréen, est-ce que ça peut expliquer que ce soit chez Ellipse Studio que ton poste de productrice de webtoon a été créé car ces méthodes peuvent se rapprocher de la chaîne de production d’une série animée ?
DR : C’est tout à fait l’idée ! Chez Ellipse, on a déjà fait des tests dans ce sens. Ce n’est pas dans un futur proche mais à moyen terme, on aimerait créer des lignes de production de cet ordre en France, pourquoi pas chez Ellipse ? Car effectivement, ça se rapproche de la manière de travailler de l’animation. Cependant ce ne sont pas exactement les mêmes postes, les mêmes techniques ou les mêmes logiciels. C’est pour cette raison qu’on a monté une formation. On a besoin d’un vivier de talents qui soient formés à intervenir aux différentes étapes de la création d’un webtoon.
WA : Pour revenir aux projets des étudiants, est-ce qu’il y a des éléments que tu as trouvé particulièrement marquants dans les projets, dans les thématiques abordées ou la manière de les traiter ?
DR : Les projets étaient tous très différents les uns des autres ! Que ce soit en termes de genre, de thématiques ou de façon de raconter. Certains projets m’ont marquée parce qu’il y avait des gags particulièrement drôles, d’autres parce qu’il y avait des scènes émouvantes, ou encore des personnages hyper badass. Chaque projet est donc marquant à sa manière.
Mais si je dois retenir quelque chose de commun, c’est que tous les étudiant et étudiantes ont vraiment progressé dans leur maîtrise du webtoon en tant que média. Notamment en termes de storyboard, de maîtrise de la narration verticale, on voit clairement la différence avant/après la formation, et ça me fait vraiment plaisir car cette maîtrise de la verticalité est vraiment à mes yeux l’une des clés pour créer des webtoons de qualité.
WA : Comment va se passer le maintien du contact avec les autres étudiants qui n’étaient pas sélectionnés ?
DR : On voulait vraiment garder le contact avec elles et eux, donc nous restons à leur disposition, notamment s’ils veulent nous montrer leur projet ou recevoir des conseils. Souvent, les auteurs sont seuls et ce n’est pas facile d’avoir des retours pertinents quand on se pose des questions sur son travail. On leur apporte donc ce regard professionnel s’ils en ont besoin. Et plus globalement, on reste attentifs à leurs parcours en tant qu’artiste et aux opportunités qu’on pourrait leur proposer.
WA : Oui, c’est important de rappeler que les étudiants en formation développent un réseau avec leurs camarades, mais aussi avec leurs intervenants. Et le mettre en place ainsi, dans une nouvelle formation, je trouve que c’est bien.
DR : Oui, j’ai moi-même été à leur place, en tant qu’autrice, et j’ai connu ces moments où à la fin d’une formation, on peut se retrouver seul, alors que quand on travaille sur un projet, on a besoin d’échanger, d’avoir des retours pour rebondir. Je suis heureuse de pouvoir leur offrir ça.
Par ailleurs il faut savoir que ceux dont les projets n’ont pas été sélectionnés ont quand même reçu des récompenses ! Trois étudiantes ont gagné des tablettes Wacom (Movink, Cintiq 22 et Cintiq 16), et les autres ont eu des prix de 300 euros, avec lesquels ils et elles ont pu acheter les produits de leur choix. Une carte graphique pour l’un, un nouveau bureau pour une autre, des cours de dessin en ligne… chacun et chacune a choisi ce qui pouvait l’aider dans sa vie professionnelle d’auteur.
WA : C’est très pertinent d’avoir mis en place ce système, et de prendre en compte que chaque auteur ou autrice a des besoins différents selon la situation où il se trouve.
DR : Ça me paraissait cohérent de leur apporter cette possibilité-là, de s’adapter aux besoins de chacun et de chacune. Je suis contente que ça fasse sens !
WA : Es-tu déjà dans l’organisation d’une nouvelle session ?
DR : Pas dans l’immédiat. On souhaite d’abord mener à terme l’expérience en se concentrant sur le voyage à Suncheon et sur la production des séries de la première promotion. Une fois ce premier cycle achevé, nous pourrons lancer une nouvelle Webtoon Academy, certainement en 2026 !
WA : Y a-t-il un autre point que tu voudrais aborder et dont on n’a pas parlé ?
DR : Je cherche… On a abordé pas mal de points déjà… Ah si : il y a le lien qui s’est créé entre les étudiantes et étudiants. Les auteur et autrices sont souvent solitaires, parfois même isolés, et le fait que douze auteurs et autrices aient pu se rencontrer, se côtoyer et travailler ensemble pendant trois mois, c’était vraiment une expérience unique. Une véritable solidarité s’est créé entre eux. Pendant les cours, on pouvait les voir se montrer des astuces sur Clip Studio Paint, échanger des conseils pour le dessin, la colorisation… Je suis vraiment contente qu’un groupe se soit formé à partir de la rencontre de ces douze artistes qui ne se connaissaient pas au départ. Je sais que ces liens se poursuivent aujourd’hui, ce qui me réjouit beaucoup.
WA : Et bien merci beaucoup Diane pour le temps que tu nous as accordé. Et on te souhaite, ainsi qu’aux trois étudiants et étudiantes sélectionnés, un bon voyage en Corée pour ces deux mois d’immersion professionnelle à Suncheon. On a hâte de voir ces trois projets en ligne.
DR : Merci ! J’espère que cette interview aura intéressé les lecteur et lectrices de Webtoon Actu !
Pour connaître en savoir encore plus sur la Webtoon Academy, je vous invite à suivre la page Instagram : https://www.instagram.com/webtoonacademy_fr/
À bientôt !

Laisser un commentaire