Le 11 janvier dernier le premier tome de PORTE-BONHEUR sortait aux éditions Leduc. Signé Tacméla, ce webtoon devenu BD aborde des thèmes difficiles comme l’anxiété, la déprime ou encore le harcèlement scolaire. Mais comment passe-t-on du webtoon au format papier ? Et d’où vient Angst, le petit fantôme du héros ? C’est avec la tête pleine de questions que nous avons rencontré Tacméla lors de sa venue au festival d’Angoulême.
Webtoon Actu : PORTE-BONHEUR aborde un thème pas facile à mettre en scène : la déprime. Qu’est-ce qui vous a poussé vers ce choix pour une première œuvre ?
Tacméla : C’est majoritairement lié à mon histoire personnelle. J’ai eu l’idée de PORTE-BONHEUR quand j’étais étudiant en première année de BTS. Ces études ne me plaisaient pas vraiment donc j’avais de l’anxiété qui s’est accentuée à ce moment-là, j’étais pas mal déprimé et j’ai fini par créer les personnages de Clément et d’Angst. Au début, je ne savais pas quoi en faire, c’est devenu une BD progressivement. À l’époque je ne trouvais pas forcément d’œuvre qui parlait d’anxiété ou de déprime parce qu’il y avait l’injonction au bonheur qui était présente un peu partout. C’est pour ça que je voulais en parler, parce qu’il y a des gens qui sont concernés et ça fait un support qu’on peut lire et dans lequel on peut se reconnaître.
Clément, votre héros, est accompagné de Angst, son petit fantôme personnel. Était-ce une évidence d’accompagner votre héros de la sorte dans son périple ?
Oui, je voulais qu’il ait un interlocuteur sinon il allait parler tout seul ! Je me suis dit que l’incarnation des angoisses, ça pouvait être sympa. Avoir justement cette espèce de petite voix toujours là, un peu pesante, pour représenter ce qu’est l’anxiété. C’était évident pour moi, il fallait que Angst soit présent.
Votre webtoon aborde d’autres thèmes difficiles : comme la peur de l’avenir ou encore le harcèlement scolaire, pourtant le ton reste drôle. Comment arrivez-vous à garder cet équilibre ?
Je pense que c’est parce que j’ai un peu d’auto-dérision. Je rigole aussi beaucoup de trucs qui me sont arrivés. J’essaye de rester léger dans ce que j’aborde, je me pose énormément de questions et je relis beaucoup les dialogues pour que ce ne soit pas trop lourd. C’est surtout de la reformulation pour arriver au ton exact.
Dans ce premier tome de PORTE-BONHEUR on voit à deux reprises Clément faire des crises d’angoisses, des moments très forts en tension. Comment fait-on pour exprimer des sentiments aussi intenses ?
J’ai déjà fait des crises d’angoisses. Donc forcément c’est plus facile de dessiner quelque chose qu’on a soi-même vécu. Mais chacun vit sa crise d’angoisse différemment. Pour moi c’est justement un trop plein. L’idée, c’était de graphiquement exprimer cette impression de trop, de pensées qui fusent. Il y a aussi les codes qu’on retrouve dans d’autres œuvres, comme quand j’utilise par exemple l’obscurité pour exprimer le côté pesant de la chose. Et puis, à l’époque, c’était un webtoon – mais j’ai voulu garder ça dans la BD – donc j’ai pu utiliser toute la largeur pour faire vraiment une sensation d’immersion que ce soit avec le fond ou avec les textures.
Finalement la relation entre Clément et Angst est plutôt tendre, ils ont le même humour, et on voit Angst s’inquiéter pour son porteur. Comment avez-vous travaillé ce lien ?
Angst, c’est un parasite. Je voulais vraiment ce côté relation parasitaire parce que j’avais découvert une conférence sur le parasitisme et ça m’avait fasciné. Le parasite a besoin de son hôte. Dans beaucoup de cas, il faut que l’hôte meure mais il y a vraiment cette relation de codépendance entre les deux. Je cherchais cette impression-là parce qu’avec l’anxiété plusieurs fois je me suis posé la question : « Si je ne suis plus anxieux, est-ce que je vais continuer à créer ? ». Et du coup, comme l’un a besoin de l’autre, forcément ils peuvent se rapprocher et avoir une amitié qui se créée entre eux.
Vous avez publié votre webtoon entre février 2021 et août 2022, en pleine crise du Covid, racontez-nous votre parcours d’auteur pendant cette période particulière ?
J’ai été diplômé en 2020, en plein Covid. Je n’ai pas passé d’épreuves, on m’a donné mon diplôme sur mes notes de l’année. À l’époque j’avais commencé sur Canvas, sur la plateforme Webtoon, donc j’ai retravaillé PORTE-BONHEUR pendant le confinement. Pendant cette période il y a eu beaucoup de questionnements sur la santé mentale des jeunes et des étudiants avec les cours à distance. Après, il y avait pas mal de gens qui étaient sur Webtoon donc il y avait pas mal d’interactions, ça a pu aider aussi.
Globalement, comment s’est passé l’aventure webtoon pour vous ?
Par rapport à des collègues pour qui ça ne s’est pas passé forcément bien, moi c’est vrai que le rythme me convenait très bien. J’avais deux épisodes à faire par semaine, et j’ai l’habitude depuis mes études de travailler beaucoup à un rythme soutenu. Il y a bien quelques fois où c’était un peu plus compliqué, notamment pendant mon déménagement où je rendais mes épisodes en même temps mais globalement ça allait. Et puis j’aimais beaucoup ça parce que c’était la première fois que je faisais un webtoon. Les commentaires et les interactions qu’il y avait avec les lecteurs c’était vraiment quelque chose qui me plaisait énormément. Je suis très satisfait de mon aventure sur Webtoon !
Finalement PORTE-BONHEUR est édité aux éditions Leduc. Comment s’est passé la transition du webtoon à la bande-dessinée ? Vous avez fait un gros travail d’adaptation, non ?
Oui, alors déjà ça a pris pas mal de temps parce qu’il y avait les discussions avec les maisons d’éditions. Ce n’est pas moi qui ai démarché les éditions Leduc, ils ont repéré PORTE-BONHEUR. Après, tout le travail d’adaptation a été assez compliqué parce que, comme je le disais, le webtoon c’est vraiment vertical. Et toutes ces cases verticales fallait bien que je les retravaille pour qu’elles soient au format papier d’une BD ! La narration n’est pas pareille non plus parce que là il faut tourner les pages. Pour le webtoon, ce sont des cliffhangers qui apparaissent en fin d’épisode, pas comme avec la BD. Là, on doit mettre du suspense à la fin de toutes les pages de droite. Il fallait aussi que je redécoupe certaines cases parce que parfois il n’y avait pas de décor – dans le webtoon, on fait au plus vite – donc forcément il fallait remplir pour que ça ne fasse pas trop vide. Le plus gros souci c’est que la publication était étalée sur un an et demi et mon style de dessin s’était amélioré au fur et à mesure. J’ai dû retravailler les premiers épisodes mais je ne pouvais pas les redessiner sinon ça aurait été sans fin. J’ai juste essayé de remettre à niveau tous les dessins. C’était un travail conséquent mais j’y suis arrivé !
Contrairement à de nombreux webtoons édités en papier, PORTE-BONHEUR a un vrai format BD classique, est-ce votre choix ou celui de votre éditeur ?
Ah c’est mon choix ! Comme je savais que ce n’était pas forcément le public habitué des webtoons qui allait lire PORTE-BONHEUR, plus habitué aux romans graphiques de chez Leduc, j’ai voulu adapter. J’avais aucune formation en mise en page de bande-dessinée donc j’ai préféré rester classique, j’ai étudié les romans graphiques que j’avais pour comprendre comment s’était fait.
Maintenant, quels sont vos axes de réflexion, sur quoi travaillez-vous ?
Alors déjà j’ai la suite de PORTE-BONHEUR au format papier qui j’espère pourra sortir. Il faut que je travaille dessus. Sinon, je suis reparti sur Canvas pour poster SCIENCE INFUSE. Je ne peux pas être régulier en ce moment alors c’est uniquement sur mon temps libre mais c’est un nouveau webtoon qui parle un peu de santé mentale. Je parle aussi de documentation car j’aime vraiment beaucoup me documenter. C’est l’histoire d’un personnage qui vit seul dans un appartement fermé et dont il ne peut pas sortir. Il y a forcément la question de l’isolement. En fait ce personnage adore étudier sur des sujets différents et à chaque épisode je choisis un sujet sur lequel je cherche des informations et donc l’histoire se construit petit à petit sur ces recherches, tout a un rapport avec le scénario.
Auriez-vous un conseil pour les auteurs débutants ?
Prenez des pauses, reposez-vous c’est important, faites pas comme moi !
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