Pour notre premier numéro de « WA le Mag », nous avons interviewé Sébastien Célimon (SC). Une interview passionnante sur son parcours et son travail dans le webtoon. Elle occupe deux pages dans le premier numéro de notre magazine (que vous pouvez vous procurez sur la boutique du site). Mais elle a été bien plus longue. Sébastien avait beaucoup à nous raconter. Alors voici le complément de cette rencontre ! Un grand merci à Sébastien qui a pris le temps de revenir avec nous sur son parcours et ses projets !
Sébastien Célimon, souriant et dispo malgré un agenda chargé
copyright Sébastien Célimon
WA : Sébastien, qu’est-ce qui t’as fait t’intéresser au webtoon par rapport au parcours que tu as eu et à ce rapport presque au transverse des adaptations ?
SC : Ce n’est pas presque, c’est complètement transverse. Pour répondre concrètement à cette question, ma motivation est que très tôt, je me suis intéressé à la manière dont la BD se portait sur l’écran. Comment un Comics DC devient un film Batman de Tim Burton, comment un Astérix devient un film de Claude Zidi, comment les films X-Men sont apparus à la fin des années 1990, début des années 2000. Ca part vraiment de là, comment on va de la BD vers l’écran.
Avec l’avènement d’internet et la possibilité de publier en ligne sur différents espaces des créations spécifiquement pensées pour les écrans, là s’est développé tout un champ de ce qu’on a appelé, sans que ce soit vraiment fixé, la BD numérique, le webcomic, le motion comic, le turbomédia… Il y a eu pas mal d’expérimentations de créations de BD pour les écrans sur internet depuis bientôt trente ans. Je m’y suis intéressé par goût, comme un internaute lambda en essayant de comprendre la portée que pouvait avoir certaines créations.
Il a suffi de voir comment des auteurs comme Pénélope Bagieu par exemple ont émergé de l’internet pour devenir des auteurs à succès dans l’édition traditionnelle, de voir comment les artistes comme Balak ont questionné la forme et l’expérience de lecture en ligne en y associant des éléments multimédia, des éléments venant d’autres segments des industries culturelles, comme l’animation, comme le point and click du jeu vidéo. En fait, c’est une question d’hybridation. Forcément, dès lors qu’un média investit un nouvel espace d’expression, les créateurs vont essayer, questionner, exploiter, tester les possibilités que porte ce nouveau média et la BD n’échappe pas à ça.
Mais on a ça ailleurs : dans le jeu vidéo, ça va être les MMO, les jeux coopératifs, dans la chanson, ça va être le crowdfunding avec My Major Company il y a un certain temps, ça va être l’avènement de Youtube, l’arrivée de hits mondiaux comme Gangnam Style, sorti de nulle part et qui devient en quelques semaines une des chansons les plus streamées au monde, venant d’un pays dont on ne comprend ni ne lit la langue, par un chanteur dont on n’a jamais entendu parler et qui d’un seul coup, devient une super star planétaire. C’est extrêmement intéressant d’étudier ces phénomènes. Ca s’accompagne d’usages, de nouvelles pratiques de consommation.
Et puis, pour revenir sur mon parcours, il s’est trouvé qu’entre 2009 et 2012, j’ai créé un blog sur la BD, « Le Comptoir de la BD » sur le site du journal Le Monde où je parlais beaucoup de BD numérique. Ce blog m’a permis d’acquérir une certaine reconnaissance des professionnels. Dans le même temps, je travaillais comme attaché de presse pour différentes sociétés notamment dans l’auto-édition comme Lulu.com. Et je croisais le fer très amicalement avec les pionniers du livre numérique en France. J’étais d’une manière ou d’une autre, soit impliqué soit observateur privilégié de toute cette effervescence. J’en ai tiré des enseignements, des réflexions, j’ai écrit un essai sur la BD numérique en 2011.
J’ai rejoint Glénat en 2012 pour être directeur du pôle numérique, c’est assez grisant comme aventure. J’ai eu le plaisir d’être un interlocuteur pour différents acteurs dans la BD numérique ou dans la BD numérisée (l’exploitation des albums papier en numérique). J’ai dealé avec certains acteurs extrêmement importants du monde du numérique et du monde de l’édition. Ca m’a mis face à certaines réalités. Très vite, je suis venu aussi sur le champ du partage de la connaissance, initié au travers de mon blog. J’ai senti très tôt, quand je fréquentais ardemment les forums de jeunes créateurs de BD ou d’animateurs, comme Cafésalé ou Catsuka, que l’on était dans des espaces où l’expérimentation justement était portée à la connaissance des différents membres des communautés. C’est un cheminement et à certains égards un compagnonnage avec certains artistes. C’était le temps béni du Festiblog et des blogs BD.
Le webtoon est ensuite venu par différents faisceaux : par Didier Borg qui s’y intéressait très tôt pour Delitoon, par certains Coréens que je pouvais croiser à Francfort notamment, qui présentaient des productions qui relevaient du webtoon sans qu’on sache nécessairement ce que c’était.
WA : Tu participes au développement du webton de différentes manières, tu as mis en place le festival de Monteux et les rencontres professionnelles de Monteux autour du webtoon, en tant que directeur éditorial, tu as travaillé avec Meyra Sudal à un livre « webtoons, 100 incontournables de Corée et du monde » chez Abysse publishing, tu as œuvré dans le cadre de la formation Webtoon, et tu étais aussi en déplacement à Bucheon puis à Brazzaville pour le webtoon, tu peux nous parler de tes activités dans le webtoon qui sont nombreuses et vraiment variées ?
SC : en fait, mes activités dans le webtoon sont un peu le reflet de mon champ de compétences. J’ai eu l’opportunité pour Abyss Publishing, jeune maison d’édition, de créer des collections d’ouvrages sur la pop culture et forcément parmi les thèmes majeurs que je veux creuser et explorer, le webtoon est en bonne place au même titre que le manga ou que les animés. Il se trouve que précédemment j’ai travaillé comme directeur éditorial des magazines Animeland pendant plus de trois ans, j’ai mis en place des chroniques de webtoon, on a fait un hors-série spécial sur la Corée, l’idée est de rendre compte de phénomènes culturels au sens large car j’ai la chance de ne pas être trop mal placé pour voir certains mouvements. Ca, c’est vraiment sur la partie éditoriale.
Pour les rencontres internationales du webtoon qui existent depuis trois ans que j’ai initiées et que j’organise ou pour les ouvrages, comme celui que j’ai pu commander notamment à Meyra Sudal, sorti en 2024, l’objectif est très simple. Je me suis dit : « Je ne sais pas si des gens ont envie d’y aller, mais moi, je suis bien placé pour, et puisque j’ai la capacité, les ressources, l’expérience, autant le faire ! » Ce qui est une manière de montrer un peu une voie. Quand je me suis vraiment intéressé au webtoon, j’ai été approché par plusieurs acteurs, notamment en 2019 par Naver Webtoon qui cherchait à recruter des compétences et des gens avec des expertises. Ca m’a amené à réfléchir. J’habitais dans le sud de la France et plus à Paris, comment pouvais-je participer au développement du webtoon ? Je suis parti d’un constat : le webtoon est partout, sur les téléphones portables dans les poches mais à ce moment-là, il n’y avait pas un endroit où on en parlait. Pas un endroit où on voyait de la création webtoon. Un événement 100 % webtoon, si je ne l’initiais pas, je risquais de voir quelqu’un le faire à ma place et j’ai pensé : « Allez, j’y vais ».
Si je lançais quelque chose, autant que je le fasse sur un territoire avec des interlocuteurs qui pouvaient m’écouter. J’habite dans le Vaucluse, je connaissais la mairie de Monteux avec qui j’avais déjà travaillée, avec qui j’avais une bonne qualité de dialogue. Contre toute attente, ils ont accepté de soutenir le projet, et on s’est lancé. La première édition a été très compliquée à monter. Car quand tu n’as pas de précédent, pas de repères, susciter de la confiance, sur un sujet considéré comme étant au mieux de niche, c’était assez rock n roll. Finalement, avec une petite équipe de bénévoles, on a fait une première édition en 2022 avec deux jours professionnels suivi de deux jours grand public. Après deux éditions, j’ai décidé de ne conserver que les jours professionnels et l’aventure continue. Désormais, je dialogue avec des acteurs au niveau national et international qui, voyant la pérennité de l’événement et le sérieux de la programmation, sont venus se faire une idée et sont repartis semble-t-il avec la conviction que je faisais correctement les choses et que ça valait le coup de travailler ensemble.
Aujourd’hui, ça m’ouvre des portes au niveau international car, comme tu l’as mentionné, j’ai été invité en Corée et en Afrique, à Brazzaville au Congo, pour le festival Bilili qui a presque une dizaine d’éditions et réunit toute l’Afrique francophone subsaharienne. J’ai été invité à Francfort où se tient le grand salon international et professionnel du livre. Les choses se mettent en place, naturellement, de manière quasi-organique, le bouche-à-oreille est positif sur ce que je fais et le réseau se construit. J’ai plein d’idées pour la suite, reste à convaincre les partenaires existant et ceux à venir.
WA : Et à côté de tout ce travail-là, est-ce que tu as d’autres projets pour l‘avenir ?
SC : Ma personnalité fait que je ne peux pas vivre sans projet. J’ai besoin de me projeter. J’ai besoin d’avoir des idées, de me confronter, donc la réponse est oui. Sur ce que je peux te dire à ce stade, parmi les choses qui m’animent aujourd’hui, il y a l’envie de travailler de manière encore plus étroite avec certains acteurs dans le développement du webtoon notamment parce que j’ai été mis en présence d’acteurs en Inde, au Brésil, en Amérique du Nord, des acteurs marocains, différents acteurs africains. Je vois que le webtoon apparaît partout avec différents moyens, différentes velléités, je commence à avoir une analyse qui me pousse à me dire qu’il y a des gros géants du webtoon comme Naver, Kakao, Lezhin et qu’il y a aussi beaucoup de place pour des acteurs plus modestes avec une approche éditoriale complètement différente. Pour faire un parallèle, c’est comme essayer de vivre et survivre à l’ombre de Netflix, de Disney Plus, d’Amazon Prime, en réalité, il y a plein d’offres qui existent – en audiovisuel, il suffit de voir – Crunchyroll spécialisé dans les dessins animés, tu as des plates-formes spécialisées dans des vieux films, alors, je parle juste de contenus audiovisuels qui, pour certains, sont tous en français et donc sur des marchés qui sont assez réduits.
Ce à quoi je pense, c’est d’essayer de fédérer des plates-formes dans le monde entier, pour qu’elles échangent du contenu, pour qu’il y ait des initiatives éditoriales où se croisent les artistes. Voilà mes projections à moyen terme, contribuer à faire connaître des artistes d’autres pays en France à travers des partenariats, trouver des conditions de visibilité et de valorisation des œuvres pour être un peu ce qu’on pourrait appeler, j’utilise des gros mots, un différenciateur marketing.
Aujourd’hui, les plates-formes coréennes sont ultra-performantes mais elles ont les défauts de leurs qualités, elles sont dans la performance, elles sont dans une certaine logique, en gros, elles savent ce qui marche car le public le leur dit donc elles fournissent au public ce qu’il aime. Sauf qu’à un moment, ça crée une certaine sécheresse dans la créativité. Le webtoon aujourd’hui en tout cas côté Corée, a une formidable vitalité en termes de production mais le grand paradoxe c’est que cette production n’est pas toujours très créative, car leur approche est tournée vers l’entertainment et la production de contenus. Leur logique est de vouloir du traffic, maintenir et augmenter le traffic.
Si les Coréens sont dans leur logique éminemment respectable, il peut y avoir de la place pour d’autres esthétiques, d’autres approches, d’autres sensibilités venant d‘autres territoires. La France a plus qu’évidemment sa carte à jouer car on est un pays de BD. Le talent on en a, des raconteurs d’histoire on en a, tout autant que d’autres territoires ont des talents de la même manière. C’est ça qui est enthousiasmant.
Sébastien Célimon au Congo pour le festival Bilili
copyright Wakom – Congo Bilili 2024
J’étais à Brazzaville, j’ai vu arriver un jeune de vingt-et-un ans, @chinicattus, qui me présente son book sur son téléphone portable, il a une maestria incroyable et là, j’apprends qu’il dessine tout au doigt sur son smartphone. Et me dire qu’il peut y avoir ce genre de talent à Brazzaville au Congo, c’est hyper enthousiasmant, car ça peut arriver à Djakarta, à Santiago Du Chili…
Mes projets sont de continuer à creuser des sillons et puis de m’épanouir, c’est tout simple. Mais je ne peux pas forcément te dire plus que cela. Evidemment, je fais monter en puissance l’événement que j’organise, évidemment je vends mes compétences à des partenaires, je fais des études de marché.
WA : Merci Sébastien pour ce mot de la fin et pour le temps que tu nous as accordé.
SC: Anytime soon ! 😊
Vous pouvez retrouver l’autre partie de l’interview de Sébastien dans le premier numéro de notre magazine disponible ici !
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