17 octobre 2025

Dossier Webtoon Academy, Interview de KIM Si-Ho du Studio Kenaz, responsable pédagogique de la Webtoon Academy

Bonjour,

Aujourd’hui, nous commençons un nouveau dossier sur les formations de Webtoon.

On a décidé de se pencher sur la proposition de la Webtoon Academy. Cette école a commencé à la rentrée 2024 avec sa première promo et la première année s’est terminée avec une immersion en Corée pour les trois lauréats de la classe. La Webtoon Academy est une nouvelle formation en France, fruit de la rencontre entre Ono, la plate-forme de webtoon et Kenaz, le studio coréen.

De nombreuses institutions ont répondu présente pour soutenir le projet, comme la Cité Internationale de la Bande Dessinée et l’EMCA (Ecole des Métiers du Cinéma d’Animation), toutes deux situées à Angoulême. Justement, c’est là que se déroulent les cours. Les élèves, des dessinateurs déjà expérimentés, ont été sélectionnés avec soin. La formation leur enseigne les techniques de dessins mais aussi les ficelles du métier de webtoonist et leur permet de produire trois épisodes de leur série de webtoon.

La première promo a donc terminé son parcours, et on va revenir sur cette aventure tout au long des interviews qui vont constituer ce dossier. Qui sait, ça pourrait vous donner envie d’intégrer la prochaine promotion de l’école ?

Pour commencer, nous avons rencontré Monsieur Si-ho Kim du studio Kenaz, venu en France comme responsable pédagogique de la Webtoon Academy ainsi que Monsieur Valentin Comoy, l’interprète qui travaille avec lui à la Webtoon Academy.

M. KIM Si-ho, responsable pédagogique de la Webtoon Academy et M. Valentin COMOY, traducteur

Ils ont accepté de répondre à nos questions concernant cette nouvelle formation. M. Kim s’exprime en Coréen, tous ses propos ont été traduits dans notre langue par Valentin Comoy qui traduisait en Coréen nos questions. Nous les remercions pour leur disponibilité. En effet, nous avons réussi à caler cette interview un matin, juste avant le début des cours.

WA (Webtoon Actu) : Bonjour messieurs.

KSH (Kim Si-ho) : « Bonjour » !

VC (Valentin Comoy) : Bonjour.

WA : M. Kim, Quel est votre rôle dans le studio Kenaz et dans la Webtoon Academy ?

KSH : La webtoon Academy est une forme de partenariat entre le studio Kenaz, un des plus grands « IP Holder » (détenteurs de licences) de Corée, Ono, la filiale de Média-Participations qui est spécialisée dans la diffusion et la publication de manga et de webtoon, et le troisième membre de l’aventure est le studio d’animation Ellipse dont Diane Ranville, qui nous a mis en contact, fait partie. Notre objectif chez Kenaz était que le webtoon soit plus connu en France, mais plutôt que d’exporter nos webtoons traduits vers la France, on s’est dit qu’on allait faire fabriquer, faire confectionner des webtoons à des étudiants, des futurs talents français. Du coup, il y a une approche encore plus directe vis-à-vis du public français. C’est sur la base de cette réflexion qu’on a monté la Webtoon Academy.

WA : Pourriez-vous me parler un peu du studio Kenaz ?

KSH : Pour le résumer en quelques mots clés, le studio Kenaz ; comme je disais, est le plus grand « IP Holder » de Corée. Nous sommes dédiés à la conception et à la production de webtoon. En terme de volume, Kenaz est le plus gros producteur de webtoon avec plus de 250 séries à l’heure actuelle.
Nous ne nous contentons pas de créer du webtoon, nous faisions aussi beaucoup de dramas coréens. Nous travaillons également avec des sociétés de jeu vidéo pour développer des jeux adaptés de licence de webtoon. A côté de cela, nous investissons dans des logiciels de travail et des programmes informatique pour faciliter la création d’un webtoon. Nous travaillons avec des entreprises informatiques spécialisées dans la conception de logiciel, pour avoir des logiciels les plus pratiques possibles à destination des auteurs. En fait, on pourrait dire que nous donnons du plaisir au lecteur à l‘arrivée et que nous en donnons aussi au départ aux auteurs qui réalisent des webtoons.

WA : Merci pour ces précisions. Revenons à la Webtoon academy. Elle avait déjà commencé en Corée avec des participants Coréens, et puis vous avez développé le concept dans d’autres pays. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous étendre à l’étranger, à aller à la rencontre d’auteurs d’autres pays ?

KSH : Bien sûr, on a commencé en Corée. Mais ce qui nous a amené à ouvrir des académies à l’étranger, c’est qu’on ne peut pas envisager d’élargir un marché au niveau économique, au niveau des revenus, si on reste tout le temps cantonné au même territoire, à la même région. Ca part de cette réflexion stratégique.
L’idée était d’élargir le marché, de s’implanter dans d’autres pays pas seulement en termes de revenus dégagés. C’était une réflexion commerciale et stratégique. Mais pourquoi est-ce que chez Kenaz on est allé dans des pays comme l’Indonésie, le Japon et maintenant la France ? Notre idée, c’était que le webtoon se diffuse à l’étranger et touche un maximum de public. Mais surtout en donnant les clés du webtoon à des auteurs de ces pays, ils allaient pouvoir en faire leur propre interprétation et donc avoir un contenu qui ne soit pas le contenu typiquement coréen qu’on connaît là-bas en Corée mais un contenu plus riche, plus divers, qui par ricochet, ouvre plus de portes et crée des retombées économiques plus intéressantes.

La première promo française de la Webtoon Academy en cours

WA : Est-ce que l’organisation des cours se déroule de la même manière dans les différents pays où s’est développé la Webtoon Academy, car ce sont autant d’approches différentes ?

KSH : Oui , il faut voir que 70% des contenus des cours sont les mêmes, c’est une base commune à toutes les académies. Sur les 30% restants, où est-ce que va va différer ? Les étudiants sont une douzaine en France, ce sont des petites classes. Il faut adapter la formation au profil des étudiants. Par exemple, l’idée est de se dire qu’au Japon, il y a eu tout cet héritage du manga. Les gens ont grandi avec et ils ont été formé au dessin dans cette optique là. Mais ici en France, j’ai tout à fait conscience du savoir-faire français en termes de bande dessinée et du coup j’adapte un petit peu le message, le contenu des cours à la forme artistique qu’est la BD, qui n’est pas tout à fait similaire au webtoon. Je prends tout cela en compte quand j’agence les cours.

Prenons un exemple concret toujours avec la Webtoon Academy au Japon et la Webtoon Academy ici à Angoulême. Au Japon, on travaille un petit peu comme en Corée. Dans un studio de manga, on va avoir l’auteur et des assistants qui vont être là pour la couleur, les décors… En Corée, quand on confectionne nos webtoons, on fonctionne de la même façon, on a l’auteur et une équipe d’assistants qui sont là pour tout ce qui est taches secondaires (scénario, encrage, couleur etc.). Par contre, en France, je sais très bien pour m’être renseigné, pour avoir rencontré des auteurs français, qu’on a tendance à gérer tout, plus ou moins seul. En tout cas, dans beaucoup plus de cas, l’auteur gère son projet de BD de A à Z. Il faut donc que je prenne cela en compte quand je m’adresse à mes étudiants. Cette notion de travail en équipe, comment vont-ils l’apprendre, est-ce quelque chose qui est pertinent pour eux ? Je me suis fait toutes ces réflexions pour établir les cours proposés aujourd’hui à la Webtoon Academy. Et ce que j’aime bien dans la mentalité des étudiants à Angoulême, comme ils viennent soit de l’animation , soit de la BD, c’est qu’ils cherchent à tout gérer eux-même : story-board, scénario, dessin. J’ aime beaucoup ce côté perfectionniste de vouloir maîtriser tous ces aspects de la chaîne de production. Et c’est quelque chose qui va me servir, quand je vois leur manière de procéder, je me dis que ça pourra m’être bénéfique pour moi plus tard.

WA : Vous avez évoqué le fait que les étudiants viennent de différents lieux mais aussi de différents pays, certains viennent d’Afrique. Chacun arrive avec ses compétences qui ne sont pas forcément les mêmes que celles du voisin. Comment gérer ces parcours, ces différentes origines dans le tronc commun ?

KSH : Je pars du principe qu’on a une tranche d’âge de 20 à 35 ans, mais je les considère tous comme « jeunes ». L’avantage qu’on a aujourd’hui c’est que l’anime, le film, les séries, tous ces médias qui sont présents à la fois au cinéma, sur internet et sur tout ce qui est à la demande (Amazon, Netflix etc.) sont des contenus diffusés dans le monde entier. La chance que j’ai, c’est que quelle que soit la région, le pays où ils ont grandi, ils ont tous plus ou moins cette même inspiration qui vient de ces univers-là. Ce qui fait un point de repère commun.

Je pense que les différences de parcours entre les élèves ne sont pas si importantes que cela car ce qui va primer c’est quelle a été leur influence première. Prenons l’exemple de deux étudiants de la Webtoon Academy, l’un qui vient du Gabon, matérialise dans ses dessins des traits très japonisés, très influencés manga avec ses personnages et sa façon de dessiner ; et on a une deuxième étudiante qui travaille sur un projet qui se passe en Corée et qui, dans le dessin, le style fait très webtoon coréen. Je trouve cela formidable qu’ils aient des influences qui me parlent. Pour moi, plus que le parcours, ce sont les influences qu’ils ont reçus qui comptent. Et la chance que j’ai est qu’ils ont grandi avec, plus ou moins, les mêmes influences et ça m’aide beaucoup pour les cours.

Et j’ai remarqué qu’il existait une différence. Ceux de nos étudiants qui ont vraiment vécu toute leur vie dans l’hexagone ont cette tendance à représenter leur culture, leur mode de pensée à travers leur dessin alors que chez nos étudiants africains, c’est plutôt le thème de l’identité qui ressort « qui je suis, quelles sont mes racines ? ». Mais en ce qui concerne l’approche du cours, je me considère comme un support, un soutien, mon but est de modifier le moins possible le style de mes étudiants, leur approche du webtoon. Par contre, je suis là pour leur donner des clés et des ingrédients pour les faire mûrir en terme de capacités, en terme de talent artistique. Je suis là pour faire exploser ce potentiel artistique sans trop toucher à leur mode de pensée, à leur approche du dessin et à ce genre de choses.

WA : Justement, par rapport à ces petites touches de connaissances, de compétences que vous apportez, quelles sont les matières, les domaines clés où vous vous êtes dit « là, on va leur apporter quelque chose grâce au tronc commun » ?

KSH : Pour ce qui est du programme de la Webtoon Academy, comment je me suis positionné par rapport à cela ? Je voulais un contenu divertissant, qui plaise. Pour y arriver, il faut partir d’un châssis, d’une base vraiment stable. Cette base repose sur le story-board et le scénario. Quand j’ai élaboré mon programme de cours, j’ai pensé que là où je pouvais apporter quelque chose à mes élèves, c’était sur le story-board et le scénario. J’avais vu le portflolio des élèves en amont, je savais très bien qu’ils dessinent plus ou moins bien. Le souci est que si une œuvre est bien dessinée et que le scénario ne tient pas la route, on risque de perdre pas mal de lecteurs. Je voulais mettre l’accent dans le programme de cours, pendant la première moitié, j’exagère un peu mais pendant le premier tiers du cours, sur le story-board et le scénario car pour moi, c’est ce qui peut faire la différence à la fin.

Pour les autres aspects du cours, cela devient plus technique, ils apprennent la manipulation des logiciels de dessin, de modélisation. Aujourd’hui, on a la chance que les jeunes soient familiers avec toutes ces technologies et ils n’ont pas trop de difficultés à suivre mon cours quand j’aborde de telles manipulations. Je condense mon programme pour la technique sur les quelques aspects qu’ils seraient susceptible de ne pas connaître, car ils ont tous des bases sur les logiciels utilisés, comme Clip Studio Paint, le logiciel par excellence avec lequel nos étudiants travaillent. Moi, je vais prendre deux trois aspects un peu poussés du logiciel qu’ils seraient susceptibles d’ignorer. L’essentiel de mon apport est surtout sur la partie en amont, la création, dans le scénario et le story-board.

WA : Combien y a-t-il d’intervenants dans la Webtoon Academy qui encadrent les étudiants ?

KSH : On a travaillé depuis pas mal de temps sur ce projet au sein de Kenaz, on a plusieurs intervenants, je ne suis pas tout seul. Il y a cinq intervenants en tant que professeur. Je suis le professeur attitré, principal, si on peut se permettre ce parallèle avec l’éducation nationale. Avant que j’arrive, un autre professeur est venu pendant un mois qui a vraiment couvert toute cette phase de story-board et de scénario puisqu’il était spécialisé là-dedans. On a aussi eu une intervention en visio d’un chef assistant qui a travaillé très longtemps au Japon, qui maîtrise tout ce qui est décor et 3D. Nous avons également eu une spécialiste de la couleur qui a fait le déplacement jusqu’ici. Voilà l’équipe pédagogique qui est derrière le projet.

Mais cela ne se limite pas à cela. On a aussi au sein du studio Ellipse à Angoulême, Diane Ranville, qui joue ce rôle de relais auprès des étudiants car elle a une connaissance assez approfondie de la bande dessinée. Et son supérieur, Monsieur Arnaud Reguillet, en tant que représentant de Ellipse pour ce projet, intervient très régulièrement. Il a un rôle très important car il fait le lien entre la Webtoon Academy et les partenaires comme la région, les studios qui soutiennent le projet. Et il y a aussi Valentin Comoy, l’interprète au quotidien pour les cours et les ateliers avec les étudiants. Il y a même une équipe internationale de développement qui œuvre à l’implantation future d’autres académies. Là, on avait le Japon, le Vietnam, maintenant la France, mais l’année prochaine, on veut intervenir aussi en Indonésie, en Italie et on envisage la Turquie à plus ou moins long terme. Il y a une équipe sur l‘international pour développer des contrats de futures académies.

Le site de l’EMCA, à Angoulême,  école partenaire de la Webtoon Academy

WA : Je vois que la plupart des intervenants sont coréens. Par rapport au temps de traduction, comment vous gérez ce temps dans les cours, cette contrainte de la différence de langues ?

KSH : En effet, c’est toute une gestion. Si on prend des faits statistiques, faire un cours en Corée à des étudiants coréens, au sein d’une académie de webtoon coréenne, prendrait deux fois moins de temps qu’un cours avec des étudiants étrangers ici. J’ai de la chance d’avoir un interprète avec moi tous les jours, mais l’idée est de synthétiser au maximum les informations qu’on veut transmettre au étudiants pendant les cours. Le matin, on a deux heures de cours magistral, si on peut l’appeler comme ça. Par contre l’après-midi, on a tout ce temps qu’on appelle ateliers feedbacks, où on a des rencontre individuelles avec les étudiants, et là, je m’efforce de rencontrer chacun de mes étudiants tous les deux jours, voire tous les jours si possible car j’ai des messages à faire passer à chacun d’entre eux à propos de leur projet.

WA : Avez-vous eu justement des surprises au cours de ces rencontres individuelles autour des projets, qui vous ont étonné, auxquelles vous ne vous attendiez pas ?

KSH : Oui, bien sûr, on a douze projets différents ! Mais ça m’est arrivé avec quelques uns d’entre eux, quand j’ai vu les ébauches au début, de me dire « ils n’ont pas besoin d‘avoir une académie, ils sont super bons, je vais leur demander de venir en Corée, on va commencer à avancer sur le projet et à échanger des idées, et on les signe direct ». Ca m’est arrivé de penser cela. (rires)

Et puis, de la même façon qu’il y avait ceux-là, on avait de l’autre côté d’autres étudiants qui travaillent depuis tellement longtemps dans un environnement européen, français, avec l’influence de cette BD à la française, que par exemple, non pas le style de dessin, mais les thématiques abordées, les messages qu’ils cherchaient à faire passer, les univers auxquels ils avaient pensé étaient influencés par leur culture en Europe et de ce fait, leurs histoires n’étaient pas tout à fait adaptées à un public de webtoon. Mon rôle alors va être non pas de changer leur contenu, mais de l’adapter pour que ça parle à la majorité des lecteurs de webtoon.

Pour autant, je ne suis pas trop inquiet car à la fois pendant les cours et pendant les feedbacks, j’ai remarqué que les étudiants étaient très réceptifs au retours, qui n’étaient pas de leur dire « Change, je ne veux pas que tu fasses ça, il faut que tu fasses ça ». c’était plus de les conseiller « Moi, je te recommanderai d’adopter telle approche » et les étudiants se sont montrés assez réceptifs, non seulement réceptifs mais aussi capables d’assimiler et de changer les choses dans leur perception des thématiques pour se rapprocher de plus en plus du webtoon. Je suis content de l’avancement de la classe.

WA : Je vous remercie, ça donne vraiment envie de s’inscrire à la Webtoon Academy. Merci encore pour votre temps et toutes ces explications.

KSH et VC : Merci Webtoon Actu.

Vous pçuvez retrouver un dossier de deux pages sur la Webtoon Academy dans le n°1 de notre magazine « WA Le Mag » disponible sur cette page !

David Neau

Scénariste pour le jeu vidéo, le cinéma et le podcast, Auteur-dessinateur de la BD numérique Zéda, Chroniqueur Web sur la BD sous toutes ses formes, Réalisateur de courts-métrages animés, Formateur à la BD numérique

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